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être, ce sont les groupes distincts de faits principaux qui composent sa vie. Or, un fait est toujours périssable. S’il y a une force qui le produit, d’autres forces peuvent le détruire. S’il vient du dedans, il dépend du dehors. — Par exemple, il y a une force qui développe le poulet et l’organise. Trempez le bout de l’œuf dans l’huile, la force est vaincue, le développement s’arrête, l’organisation se renverse et vous voyez naître un monstre : l’être n’est point allé à sa fin, sa destinée n’a point correspondu à sa nature. — Il y avait dans le bœuf une force vitale et une force reproductive ; le couteau du vétérinaire et la massue du boucher en ont empêché l’effet ; les tendances existaient, la destinée ne s’est point accomplie. — Il y a en nous un besoin infini de science, de sympathie et de puissance ; la supériorité des forces voisines, l’infinité de l’univers, l’imperfection de notre société nous condamnent à des misères sans nombre, et à des contentements médiocres ; nous avons la tendance, nous n’avons pas la puissance. Quoi de plus simple ? Quoi de plus naturel même ? Et quelle bizarre preuve de l’immortalité que les révoltes de notre cœur ! Combien plus bizarre encore, si l’on remarque qu’elles ne persistent guère que chez les poètes et chez M. JoufTroy, que quatre-vingt-dix-neuf hommes sur cent se résignent, et qu’au fond, si belles qu’on fasse les