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gligé la recherche scolastique de facultés inutiles. En psychologie, comme en physiologie, comme en chimie, comme partout, trouver l’essence, c’est ramener un fait aux faits qui le composent et auxquels il se réduit.

Restent les causes. Lorsque Reid, ayant décrit l’émulation et l’envie, les explique par un penchant naturel qui rend pénible à l’homme la supériorité d’autrui, nous nous jugeons aussi avancés qu’avant d’ouvrir son livre. C’est dire que l’homme éprouve ces émotions parce qu’il les éprouve, et nous trouvons qu’on eût pu se dispenser de cette explication. Au lieu de recourir à un penchant, cherchons un fait. Remarquons avec Spinoza[1] qu’imaginer un bien c’est le désirer, que voir ce bien possédé par un autre c’est souffrir, que par une illusion d’imagination, le possesseur nous semble l’accapareur de ce bien et l’auteur de notre souffrance. La cause est trouvée ; le sentiment d’envie, qui est un fait, se trouve dérivé d’un autre fait, qui est l’illusion d’optique. Ramenez ainsi tous les plaisirs, toutes les peines et tous les désirs à quelque fait observable et unique ; vous aurez expliqué le cœur de l’homme, et vous aurez fait une œuvre de science. Cela est si vrai, que le célèbre physiologiste Mùeller a transcrit le troisième

  1. Éthique, livre III, Prop. 32.