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œuvres de Reid, son écrit sur la distinction de la physiologie et de la psychologie, exposent à l’infini, avec une multitude d’accessoires et de dépendances, des idées qui eussent été au large en cinquante pages. Il en dit tant qu’on n’est jamais tenté de le relire. C’est un esprit touffu, que ses ramifications trop nombreuses ont empêché de pousser assez droit et assez haut.

Il n’en reste pas moins parmi les maîtres : et lorsqu’on considère sa puissance d’investigation et de raisonnement, l’étendue et la liaison de ses idées, la prudence et la hardiesse de ses tentatives, et surtout l’originalité de ses vues, on juge que parmi les maîtres son rang n’est pas le dernier. Il a inventé, et cela suffit. Dans toutes les autres sciences, le savant continue l’œuvre de ses prédécesseurs ; en philosophie, il crée tout lui-même. Qu’il échoue ou qu’il réussisse, il a soulevé toute la science, et il a prouvé souvent plus de génie que le physicien le plus adroit et le plus heureux. Pour employer les images de M. Jouffroy, je dirai que cette différence entre les esprits d’un siècle est comme la différence des arbres dans une forêt. Les uns, plantés au sommet des collines, sont exhaussés par le sol ; tout l’hiver, ils chauffent les habitants de leurs débris ; tout l’été, ils sont peuplés d’oiseaux ; seuls, on les voit de loin ; seuls, il sont vivants et utiles. Descendez dans les pro-