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tions contrariées par les circonstances, de ces esprits prématurés ou tardifs, de ces hommes de talent qui eussent été des hommes de génie s’ils étaient venus à temps. La Nature nous jette au hasard dans le temps et dans l’espace ; et pour un qui se développe, il y en a mille qui avortent, ou qui restent à demi formés. Transportons donc M. Cousin dans sa patrie, et racontons sa vie telle que son bon génie eût dû la faire. Il naquit en 1640. Il fit les plus brillantes études au collège de Navarre ; ses maîtres pressentirent son éloquence, son impétuosité, ses élans lyriques, sa capacité singulière dans la science des textes et dans les querelles d’érudition. Ils lui trouvèrent une voie. La théologie, par ses grands horizons métaphysiques, ouvre une large carrière à l’enthousiasme et à l’imagination ; en même temps, elle s’appuie sur la connaissance approfondie des textes, sur les recherches de philologie, sur le talent de discuter sans rien prouver, de raisonner sans rien découvrir. D’autre part, la prédication est le plus bel emploi de l’éloquence. La chaire est le trône de l’orateur. Il y parle en maître, il a Dieu dans sa main, il foudroie son auditoire, il ne descend jamais, comme l’orateur politique, dans les détails secs et minutieux d’une affaire particulière, il ne parle que du devoir en général, de la vie humaine, des dangers du monde, de la providence de