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leur esprit, neuf et libre encore, peut s’éprendre des idées générales. N’ayant ni métier ni ménage, ni soucis d’argent, ni souci des places, ils se livrent à la logique et ne s’inquiètent que de la vérité. C'est la démonstration qui les touche, non l’agrément ou la convenance ; pour admettre une opinion il leur suffit qu’elle soit prouvée. J’ai essayé de prouver la mienne ; quand j’ai réfuté une doctrine, j’ai marqué du doigt la page et la ligne du sophisme, j'ai dit son nom, son origine, le fait palpable et connu qui le contredit ; j’ai voulu que chacun put refaire en soi-même la série des vérifications qui le renversent ; j’ai employé les exemples les plus simples, le style populaire ; j’ai exposé des théories abstraites, comme une affaire pratique et personnelle, avec toutes les familiarités et les émotions qu’une telle affaire inspire et exige. Le lecteur me pardonnera s’il considère qu’il s'agissait non de spéculation pure, mais d’une philosophie régnante, officielle, qui forme les esprits depuis un quart de siècle, qui les formera encore pendant un quart de siècle, qui les prend du moment où ils s’ouvrent, qui pèse sur eux avec toute la force d’une institution, qui dure en eux, qui les tient dans le reste de leur carrière, qui, sous toutes les formes et par toutes les bouches, vient à toute minute heurter ou étouffer toute invention et tout effort. Je l’ai subie moi-même, et je sens bien que je n'aurais pu en parler autrement.

Un livre de réfutation n'est pas un livre de théorie ; je n’exposais pas, j'attaquais ; je n'étais point tenu de