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dans l’esprit le moins attentif et le moins pénétrant. On garde fidèlement l’ordre naturel des pensées, on s’attache aux transitions, on marche pas à pas sans poser jamais un pied plus vite ni plus loin que l’autre, et avec la régularité d’une procession. On se corrige des métaphores excessives, on fuit les images hasardées, on diminue le nombre des mots familiers, on commence à n’employer que les termes généraux. On observe les convenances, on pratique la gravité, on atteint le style noble, et l’on s’embarque dans la période. Qu’est-ce que tout ce changement, sinon la naissance de la raison oratoire ? Or, en quoi consiste le talent de M. Cousin, si ce n’est dans la possession de cette raison, dans l’art de bien développer, dans la bonne composition, dans la faculté d’expliquer en style élevé et clair les vérités moyennes ? D’où il arrive que, lorsqu’il considère l’avènement de cet esprit, il n’y voit point, comme fait le public, la naissance d’un genre particulier, ayant son domaine, mais ayant ses limites, ayant ses mérites, mais ayant ses défauts. Il y voit la perfection même ; c’est la Beauté qui descend sur la terre, et commence son voyage par l’hôtel de Rambouillet. Il ne montre pas ce qui lui manque ; il ne l’oppose pas à celle des siècles qui précèdent ou qui suivent ; il la met sur le trône, prosterne devant elle le dix-huitième siècle, et pour toute définition nous dit : « Adorez. »