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NAPOLÉON BONAPARTE


III

Enfin, nous voici devant sa passion dominante, devant le gouffre intérieur que l’instinct, l’éducation, la réflexion, la théorie ont creusé en lui, et où s’engloutira le superbe édifice de sa fortune : je veux parler de son ambition. Elle est le moteur premier de son âme et la substance permanente de sa volonté, si intime qu’il ne la distingue plus de lui-même et que parfois il cesse d’en avoir conscience. « Moi, disait-il[1] à Rœderer, je n’ai pas d’ambition » ; puis, se reprenant, et avec sa lucidité ordinaire : « ou, si j’en ai, elle m’est si naturelle, elle m’est tellement innée, elle est si bien attachée à mon existence qu’elle est comme le sang qui coule dans mes veines, comme l’air que je respire. » — Plus profondément encore, il la compare à ce sentiment involontaire, irrésistible et sauvage qui fait vibrer l’âme depuis sa haute cime jusqu’à sa racine organique, à ce tressaillement universel de tout l’être animal et moral, à cet élancement aigu et terrible qu’on appelle l’amour. « Je n’ai qu’une passion[2], qu’une maîtresse, c’est la France ; je couche avec elle ; elle ne m’a jamais manqué, elle me prodigue son sang, ses tré-

    catholicisme imaginaire, une Angleterre imaginaire, une finance imaginaire, une noblesse imaginaire, bien plus, une France imaginaire, et, dans ces derniers temps, un congrès imaginaire. »

  1. Rœderer, III. 495 (8 mars 1804).
  2. Ib., III, 537 (11 février 1809).