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LE RÉGIME MODERNE


et rude, comme Cambon ou Baudot, refuse d’endosser l’uniforme officiel, si deux ou trois généraux jacobins, comme Lecourbe et Delmas, grondent contre les parades du sacre, Napoléon, qui sait leur portée d’esprit, peut les considérer comme des ignorants bornés et raidis dans une idée fixe. — Quant aux libéraux intelligents et cultivés de 1789, d’un mot il les remet à leur place : ce sont des « idéologues » ; en d’autres termes, leurs prétendues lumières sont des préjugés de salon et des imaginations de cabinet ; « La Fayette est un niais politique », éternelle « dupe des hommes et des choses[1] ». — Reste, chez La Fayette et chez quelques autres, un détail embarrassant : je veux dire le désintéressement prouvé, le souci constant du bien public, le respect d’autrui, l’autorité de la conscience, la loyauté, la bonne foi, bref les motifs beaux et purs. Napoléon n’accepte pas ce démenti donné à sa théorie ; parlant aux gens, il leur conteste en face leur noblesse morale. « Général Dumas, dit-il brusquement à Mathieu Dumas[2], vous

  1. Mémorial, 12 juin 1816.
  2. Mathieu Dumas, III, 364 (4 juillet 1809, quelques jours avant Wagram). — Mme de Rémusat, I, 105 : « Je ne l’ai jamais vu admirer, je ne l’ai jamais vu comprendre une belle action. » — I, 179. Sur la clémence d’Auguste et sur le mot : Soyons amis, Cinna, voici son interprétation : « Je compris que cette action n’était que la feinte d’un tyran, et j’ai approuvé comme calcul ce que je trouvais puéril comme sentiment. « — Mes souvenirs sur Napoléon, 350, par le comte Chaptal. « Il ne croyait ni à la vertu, ni à la probité ; il appelait souvent ces deux mots des abstractions : c’est ce qui le rendait si défiant et si immoral… » — « Il n’a jamais éprouvé un sentiment généreux ; c’est ce qui rendait sa société si sèche, c’est ce qui fait qu’il n’avait pas un