Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 9, 1904.djvu/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
82
LE RÉGIME MODERNE


chie corse ; c’est que, dans une société qui se défait, les leçons de choses sont les mêmes que dans une société qui n’est pas faite. — De très bonne heure, à travers le décor des théories et la parade des phrases, ses yeux perçants ont aperçu le fond vrai de la Révolution, c’est-à-dire la souveraineté des passions libres et la conquête de la majorité par la minorité ; être conquérant ou être conquis, il faut opter entre ces deux conditions extrêmes ; point de choix intermédiaire. Après le 9 Thermidor, les derniers voiles sont déchirés, et, sur la scène politique, les instincts de licence et de domination, les convoitises privées, s’étalent à nu ; de l’intérêt public et du droit populaire, nul souci ; il est clair que les gouvernants sont une bande, que la France est leur butin, qu’ils entendent garder leur proie envers et contre tous, par tous les moyens, y compris les baïonnettes ; sous ce régime civil, quand il se donne au centre un coup de balai, il importe d’être du côté du manche. — Dans les armées, surtout dans l’armée d’Italie, depuis que le territoire est délivré, la loi républicaine et l’abnégation patriotique ont fait place aux appétits naturels et aux passions militaires[1]. Pieds nus, en haillons, avec quatre onces de pain par jour, payés en assignats qui n’ont point cours sur le marché, officiers et soldats veulent

  1. Cf., sur ce point : les Mémoires du maréchal Marmont, I, 180, 196, les Mémoires de Stendhal sur Napoléon, le rapport d’Antraigues (Yung, III, 170, 171), le Mercure britannique de Mallet du Pan, et le premier chapitre de la Chartreuse de Parme, par Stendhal.