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NAPOLÉON BONAPARTE


mulées est trop grande et aboutit à une convulsion physique. Chose étrange chez un tel homme de guerre et chez un tel homme d’État, « il n’est pas rare, quand il est ému, de lui voir répandre quelques larmes ». Lui qui a vu mourir des milliers d’hommes et qui a fait tuer des millions d’hommes, « il sanglote », après Wagram, après Bautzen[1], au chevet d’un vieux compagnon mourant. « Je l’ai vu, dit son valet de chambre, après qu’il eut quitté le maréchal Lannes, pleurer pendant son déjeuner : de grosses larmes lui coulaient sur les joues et tombaient dans son assiette. » Ce n’est pas seulement la sensation physique, la vue directe du corps sanglant et fracassé,

    pouls serré, fébrile, irrégulier ; l’urine bourbeuse, sédimenteuse, ne sortant que goutte à goutte, avec douleur ; le bas des jambes et les pieds œdématisés. » — Déjà, en 1806, à Varsovie, « après de violentes convulsions d’estomac », il s’écriait, devant le comte de Lobau, « qu’il portait en lui le germe d’une fin prématurée et qu’il périrait du même mal que son père ». (Ségur, IV, 82). — Après la victoire de Dresde, ayant mangé d’un ragoût à l’ail, il est pris de si violentes tranchées qu’il se croit empoisonné, et il rétrograde, ce qui cause la perte du corps de Vandamme, et, par suite, la débâcle de 1813 (Souvenirs inédits du chancelier Pasquier, récit de Daru, témoin oculaire). — Cette susceptibilité des nerfs et de l’estomac est chez lui héréditaire et se manifeste dès la première jeunesse : un jour, à Brienne, mis en pénitence à genoux sur le seuil du réfectoire. « à peine eut-il ployé les genoux, qu’un vomissement subit et une violente attaque de nerfs le saisirent » (Ségur, I, 71). — On sait qu’il est mort d’un squirre à l’estomac, comme son père Charles Bonaparte ; son grand-père Joseph Bonaparte, son oncle Fesch, son frère Lucien et sa sœur Caroline sont morts du même mal ou d’un mal analogue.

  1. Meneval, I, 299. — Constant, Mémoires, V, 62. — Ségur, VI, 114, 117.