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NAPOLÉON BONAPARTE


« sa main ». Un peu avant l’empire, Talleyrand, grand mystificateur, a fait accroire à Berthier que le Premier Consul voulait prendre le titre de roi ; Berthier, empressé traverse le salon rempli de monde, aborde le maître d’un air épanoui et « lui fait son petit compliment[1] ». Au mot de roi, les yeux de Bonaparte s’allument ; il met le poing sous le menton de Berthier et le pousse devant lui jusqu’à la muraille : « Imbécile, lui dit-il, qui vous a conseillé de venir ainsi m’échauffer la bile ? Une autre fois, ne vous chargez plus de pareilles commissions. » — Voilà son premier mouvement, son geste instinctif, foncer droit sur les gens et les prendre à la gorge ; à chaque page, sous les phrases écrites, on devine des sursauts et des assauts de cette espèce, la physionomie et les intonations de l’homme qui bondit, frappe et abat. Aussi bien, quand il dicte dans son cabinet, « il marche à grands pas[2] », et, « s’il est animé », ce qui ne manque guère, « son langage est entremêlé d’imprécations violentes et même de jurements qu’on supprime en écrivant ». On ne les supprime pas toujours, et ceux qui ont lu en original les minutes de ses lettres sur les affaires ecclésiastiques[3] y rencontrent par dizaines les b…, les f… et les plus gros mots.

  1. Mme de Rémusat, I, 359. — Les Cahiers de Coignet, 191 « Déjà, à Posen, je l’avais vu monter à cheval si en colère, qu’il sauta par-dessus son cheval de l’autre côté et donna un coup de cravache à son écuyer. »
  2. Mme de Rémusat, I, 222.
  3. Notamment les lettres adressées au cardinal Consalvi et au préfet de Montenotte (Ce renseignement m’est donné par M. d’Haussonville). — Au reste, il prodigue les mêmes mots en conversa-