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NAPOLÉON BONAPARTE


par le caractère encore plus que par l’esprit[1]. Trois cents ans de police, de tribunaux et de gendarmes, de discipline sociale, de mœurs pacifiques et de civilisation héréditaire ont amorti en nous la force et la fougue des passions natives ; elles étaient intactes en Italie au temps de la Renaissance ; il y avait alors chez l’homme des émotions plus vives et plus profondes qu’aujourd’hui, des désirs plus véhéments et plus effrénés, des volontés plus impétueuses et plus tenaces que les nôtres ; quel que fût dans l’individu le ressort moteur, orgueil,

  1. On trouvera les textes et les faits à l’appui dans ma Philosophie de l’art, t. I, 2e partie, ch. IV. — D’autres analogies, qu’il serait trop long de développer, se rencontrent chez lui, notamment en ce qui concerne l’imagination et l’amour. « Il avait quelque disposition à accepter le merveilleux, les pressentiments et même certaines communications mystérieuses entre les êtres… Je l’ai vu se passionner au murmure du vent, parler avec enthousiasme du mugissement de la mer, être tenté quelquefois de ne pas croire hors de toute vraisemblance les apparitions nocturnes ; enfin, avoir du penchant pour certaines superstitions. » (Mme de Rémusat, I, 102, et III, 164.) — Meneval (III, 114) note « ses signes de croix involontaires à la révélation de quelque grand danger, à la découverte de quelque fait important ». — Pendant le Consulat, le soir, dans un cercle de dames, il improvisait parfois et déclamait des « nouvelles » tragiques, à l’italienne, tout à fait dignes des conteurs du XVe siècle et du XVIe siècle. (Bourrienne, VI, 387, donne une de ses improvisations. — Cf. Mme de Rémusat, I, 102). — Quant à l’amour, ses lettres à Joséphine pendant la campagne d’Italie sont un des meilleurs spécimens de la passion italienne et « font le plus piquant contraste avec la bonne grâce élégante et mesurée de son prédécesseur, M. de Beauharnais » (Mme de Rémusat, I, 143). — Ses autres amours, simplement physiques, sont trop difficiles à raconter ; j’ai recueilli à ce sujet des détails oraux qui sont presque de première main et tout à fait authentiques. Il suffira de citer un texte déjà publié : « À entendre Joséphine, il n’avait aucun principe de morale : n’a-t-il pas séduit ses sœurs les unes après les