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NAPOLÉON BONAPARTE


sonne n’en a lancé autant, à poignées ; sur la société, les lois, le gouvernement, la France et les Français, il en a qui percent et illuminent à fond, comme ceux de Montesquieu, par un grand éclair brusque ; il ne les fabrique pas industrieusement, ils jaillissent de lui ; ce sont les gestes de son esprit, ses gestes naturels, involontaires, perpétuels. — Et ce qui ajoute à leur prix, c’est que, hors des conseils ou entretiens intimes, il s’en abstient ; il ne s’en sert que pour penser ; dans les autres circonstances, il les subordonne à son but qui est toujours l’effet pratique ; ordinairement il écrit et parle dans une langue différente, dans la langue qui convient à ses auditeurs ; il se retranche les étrangetés, les saccades d’improvisation et d’imagination, les sursauts d’inspiration et de génie. Ce qu’il en garde et s’en permet n’est que pour imprimer de lui une grande idée dans le personnage qu’il a besoin d’éblouir, Pie VII ou l’empereur Alexandre ; en ce cas, le ton courant de sa conversation est la familiarité caressante, expansive, aimable ; il est alors en scène, et en scène il peut jouer tous les rôles, la tragédie, la comédie, avec la même verve, tour à tour fulminant, insinuant et même bonhomme. Avec ses généraux, ministres et chefs d’emploi, il se réduit au style serré, positif et technique des affaires ; tout autre langage nui-

    dont un parent venait d’être fusillé) : « Il écrira quelques pages pathétiques qu’il lira dans le faubourg Saint-Germain, les belles dames pleureront, et vous verrez que cela le consolera. »(Sur l’abbé Delille) : « Il radote l’esprit. » — (Sur MM. Pasquier et Molé) : « J’exploite l’un et je crée l’autre. » — Cf. Mme de Rémusat, II, 389, 391, 394, 399, 402, III, 67.