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NAPOLÉON BONAPARTE


loppe. À leur endroit, sa curiosité, son avidité est « insaturable[1] ». Dans chaque ministère il en sait plus que le ministre, et dans chaque bureau il sait autant que le commis. Sur sa table[2] sont des états de situation des armées de terre et de mer ; il en a donné le plan, et ils sont renouvelés le premier jour de chaque mois ; telle est sa lecture quotidienne et préférée : « J’ai toujours présents mes états de situation. Je n’ai pas de mémoire assez pour retenir un vers alexandrin, mais je n’oublie pas une syllabe de mes états de situation.

  1. Mot de Mollien.
  2. Meneval, I, 210, 213. — Rœderer, III, 537, 545 (février et mars 1809, paroles de Napoléon). « En ce moment, il était près de minuit. » — Ib., IV, 55 (novembre 1809). Lire l’admirable interrogatoire que Napoléon fait subir à Rœderer sur le royaume de Naples. Ses questions font un vaste filet systématique et serré qui enveloppe tout le sujet et ne laisse aucune donnée physique ou morale, aucun fait utile, hors de ses prises. — Ségur, II, 231. M. de Ségur, chargé de visiter toutes les places du littoral du Nord, avait remis son rapport : « J’ai vu tous vos états de situation, me dit le Premier Consul ; ils sont exacts. Cependant vous avez oublié à Ostende deux canons de quatre. ». — Et il lui désigne l’endroit, « une chaussée en arrière de la ville ». — C’était vrai. — « Je sortis confondu d’étonnement de ce que, parmi des milliers de pièces de canon répandues par batteries fixes ou mobiles sur le littoral, deux pièces de quatre n’eussent point échappé à sa mémoire. » — Correspondance, lettre au roi Joseph, 6 août 1806 : « La bonne situation de mes armées vient de ce que je m’en occupe tous les jours une heure ou deux, et, lorsqu’on m’envoie chaque mois les états de mes troupes et de mes flottes, ce qui forme une vingtaine de gros livrets, je quitte toute autre occupation pour les lire en détail, pour voir la différence qu’il y a entre un mois et l’autre. Je prends plus de plaisir à cette lecture qu’une jeune fille n’en prend à lire un roman. » — Cadet de Gassicourt, Voyage en Autriche (1809), sur ses revues à Schœnbrunn et sa vérification du contenu d’une voiture de pontonniers, prise comme spécimen.