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NAPOLÉON BONAPARTE


lieu de « faire sauter les représentants », ce sont les Parisiens qu’il mitraille, en bon condottière qui ne se donne pas, qui se prête au premier offrant, au plus offrant, sauf à se reprendre plus tard, et finalement, si l’occasion vient, à tout prendre. — Condottière aussi, je veux dire chef de bande, il va l’être, de plus en plus indépendant, et, sous une apparente soumission, sous des prétextes d’intérêt public, faisant ses propres affaires, rapportant tout à soi, général à son compte et à son profit[1], dans sa campagne d’Italie, avant et après le 18 Fructidor, mais condottière de la plus grande espèce, aspirant déjà aux plus hauts sommets, « sans autre point d’arrêt que le trône ou l’échafaud[2] », « voulant[3] maîtriser la France et, par la France, l’Europe, toujours occupé de ses projets et cela sans distraction, dormant trois heures par nuit », se jouant des idées et des peuples, des religions et des gouvernements,

  1. Mémorial, I, 6 septembre 1815 : « Ce n’est qu’après Lodi qu’il me vint à l’idée que je pourrais bien devenir, après tout, un acteur décisif sur notre scène politique. Alors naquit la première étincelle de la haute ambition. » Sur son but et ses procédés dans cette campagne d’Italie, cf. Sybel, Histoire de l’Europe pendant la Révolution française (trad. Dosquet), t. IV, livres II et III, notamment 182, 199, 334, 335, 406, 420, 475, 489.
  2. Yung, III, 213. (Lettre de M. de Sucy, 4 août 1797.)
  3. Ib., III, 214 (Rapport du comte d’Antraigues à M. de Mowikinoff, septembre 1797) : « S’il y avait un roi en France et que ce ne fût pas lui, il voudrait l’avoir créé, que ses droits fussent au bout de son épée, ne jamais abandonner cette épée, pour la lui plonger dans le sein, s’il cessait de lui être asservi un moment. » — Miot de Melito, I, 154. (Paroles de Bonaparte à Montebello, devant Miot et Melzi, juin 1797.) — Ib., I, 184. (Paroles de Bonaparte à Miot, 18 novembre 1797, à Turin.)