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LE RÉGIME MODERNE


9 Thermidor il se dégage bruyamment de cette amitié compromettante : « Je le croyais pur, dit-il de Robespierre jeune dans une lettre ostensible ; mais, fût-il mon père, je l’eusse poignardé moi-même s’il aspirait à la tyrannie. » De retour à Paris, après avoir frappé à plusieurs portes, c’est Barras qu’il prendra pour patron, Barras, le plus effronté des pourris, Barras qui a renversé et fait tuer ses deux premiers protecteurs[1]. Parmi les fanatismes qui se succèdent et les partis qui se heurtent, il reste froid et il se maintient disponible, indifférent à toute cause et dévoué seulement à sa propre fortune. — Le 12 Vendémiaire au soir, sortant du théâtre Feydeau et voyant les apprêts des sectionnaires[2] : « Ah ! disait-il à Junot, si les sections me mettaient à leur tête, je répondrais bien, moi, de les mettre dans deux heures aux Tuileries et d’en chasser tous ces misérables conventionnels ! » Cinq heures plus tard, appelé par Barras et par les conventionnels, il prend « trois minutes » pour réfléchir, pour se décider, et au

  1. Yung, II, 455. (Lettre de Bonaparte à Tilly, 7 août 1794.) — Ib., III, 120 (Mémoires de Lucien) : « Barras se charge de la dot de Joséphine, qui est le commandement en chef de l’armée d’Italie. » — Ib., Il, 477 (Classement des officiers généraux, notes de Schérer sur Bonaparte) : « Il a des connaissances réelles dans l’arme de l’artillerie, mais un peu trop d’ambition et d’intrigue pour son avancement. »
  2. Ségur, I, 162. — La Fayette, Mémoires, II, 215. — Mémorial (note dictée par Napoléon). Il expose les raisons pour et contre, et ajoute en parlant de lui-même ; « Ces sentimens, vingt-cinq ans, la confiance en sa force, sa destinée, le décidèrent. » — Bourrienne, I, 51 : « Il est constant qu’il a toujours gémi de cette journée ; il m’a souvent dit qu’il donnerait des années de sa vie pour effacer cette page de son histoire. »