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LE RÉGIME MODERNE


du grand italien, à qui l’occasion fournit les moyens

    Turcs s’écroule tous les jours ; la possession de ces îles nous mettra à même de le soutenir tant que ce sera possible, ou d’en prendre notre part. Les temps ne sont pas éloignés où nous sentirons que, pour détruire véritablement l’Angleterre, il faut nous emparer de l’Égypte. » — Jadis la Méditerranée était un lac romain ; elle doit devenir un lac français. (Cf. Souvenirs d’un sexagénaire, par Arnault, t. IV, 102, sur ses rêves, en 1798, pour faire de Paris une Rome colossale.) — À la même date, sa conception de l’État s’est précisée et se trouve toute romaine (Entretiens avec Miot, juin 1797, et lettre à Talleyrand, 19 septembre 1797) : « Depuis cinquante ans, je ne vois qu’une chose que nous avons bien définie : c’est la souveraineté du peuple… L’organisation du peuple français n’est encore qu’ébauchée… Le pouvoir du gouvernement, dans toute la latitude que je lui donne, devrait être considéré comme le vrai représentant de la nation. » Dans ce gouvernement, « le pouvoir législatif, sans rang dans la république, sans oreilles et sans yeux pour ce qui l’entoure, n’aurait pas d’ambition et ne nous inonderait plus de mille lois de circonstance, qui s’annulent toutes seules par leur absurdité. » On voit qu’il décrit d’avance son futur Sénat et son futur Corps législatif. — L’année suivante, à plusieurs reprises et pendant l’expédition d’Égypte, il propose à ses soldats les Romains en exemple, et il s’envisage lui-même comme un successeur de Scipion et de César. — (Proclamation du 12 juin 1798) : « Ayez pour les cérémonies que prescrit l’Alcoran la même tolérance que vous avez eue pour la religion de Moïse et de Jésus. Les légions romaines protégeaient toutes les religions. » — (Proclamation du 10 mai 1798) : « Les légions romaines, que vous avez quelquefois imitées, mais pas encore égalées, combattaient Carthage, tour à tour sur cette mer et aux environs de Zama. » — C’est l’Angleterre qui aujourd’hui est Carthage : contre cette communauté de marchands qui détruit sa flotte à Aboukir, qui lui fait lever le siège de Saint-Jean-d’Acre, qui garde Malte, qui lui prend son bien, son patrimoine, sa Méditerranée, sa haine est celle d’un consul romain contre Carthage ; cela le conduit à conquérir contre elle l’Europe occidentale et à « ressusciter l’empire d’Occident. » (Note à Otto, son ambassadeur à Londres, 23 octobre 1802.) — Empereur des Français, roi d’Italie, maître de Rome, suzerain du pape, protecteur de la Confédération du Rhin, il succède aux empereurs allemands, titulaires du Saint-Empire romain qui vient de finir en 1806 ; il est donc l’héritier de Charle-