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LE RÉGIME MODERNE


lecteur de Rousseau, patronné par Raynal, compilateur de sentences philosophiques et de lieux communs égalitaires, s’il parle le jargon du temps, c’est sans y croire ; les phrases à la mode sont pour sa pensée une draperie décente d’académie ou un bonnet rouge de club ; il n’est pas ébloui par l’illusion démocratique, il n’éprouve que du dégoût pour la révolution effective et pour la souveraineté de la populace. — À Paris, en avril 1792, au plus fort de la lutte entre les monarchistes et les révolutionnaires, il s’occupe à découvrir « quelque utile spéculation[1] » et songe à louer des maisons pour les sous-louer avec bénéfice. Le 20 Juin, il assiste en simple curieux à l’invasion des Tuileries, et voyant le roi à une fenêtre, affublé du bonnet rouge : « Che coglione ! » dit-il assez haut. Puis aussitôt : « Comment a-t-on pu laisser entrer cette canaille ! Il fallait en balayer quatre ou cinq cents avec des canons, et le reste courrait encore. » — Le 10 Août, au bruit du tocsin, son dédain est égal pour le peuple et pour le roi ; il court au Carrousel, chez un ami, et de là, toujours en simple curieux, « il voit à son aise tous les détails de la jour« née[2] » ; ensuite, le château forcé, il parcourt les Tuileries, les cafés du voisinage, et regarde ; rien de plus :

    frappés de son éclat que de ses imperfections… Cet amour devenait une espèce de culte. »

  1. Bourrienne, Mémoires, I, 27. — Ségur, I, 445. En 1795, à Paris, n’ayant point d’emploi militaire, Bonaparte ébauche plusieurs spéculations commerciales, entre autres une entreprise de librairie qui ne réussit pas. (Témoignage de Sébastiani et de divers autres.)
  2. Mémorial, 3 août 1816.