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FORMATION ET CARACTÈRES DU NOUVEL ÉTAT


comme ses prédécesseurs de la Convention, mais homme d’État, perspicace et habitué à se servir de ses yeux. Il perçoit les choses directement, en elles-mêmes ; il ne se les figure pas, à travers des formules de livre ou des phrases de club, au moyen d’un raisonnement verbal, avec les suppositions gratuites de l’optimisme humanitaire, ou avec les préventions dogmatiques de l’imbécillité jacobine. Il voit l’homme tel qu’il est, non pas l’homme en soi, le citoyen abstrait, la marionnette philosophique du Contrat social, mais l’individu réel, total et vivant, avec ses instincts profonds, avec ses besoins tenaces, qui, sous la tolérance ou l’intolérance de la législation, subsistent quand même, opèrent infailliblement, et desquels le législateur doit tenir compte, s’il veut en tirer parti. — À cet individu, Européen civilisé et Français moderne, constitué comme il l’est par plusieurs siècles de police passable, de droits respectés et de propriété héréditaire, il faut un domaine privé, un enclos, grand ou petit, qui soit son enclos propre et réservé, dont la puissance publique s’interdise l’accès, et devant lequel elle monte la garde pour empêcher les autres particuliers d’y rentrer. Sinon, sa condition lui semble intolérable : il n’a plus de cœur pour s’évertuer, s’ingénier, entreprendre. Prenons garde de casser ou détendre en lui ce puissant et précieux ressort d’action ;

    lui en restera l’année suivante pour subsister : on peut absorber tout son revenu par la contribution… Un simple commis peut, d’un seul trait de plume, vous surcharger de plusieurs mille francs… On n’a jamais rien fait en France pour la propriété. Celui qui fera une bonne loi sur le cadastre méritera une statue. »


  le régime moderne, i.
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