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LE RÉGIME MODERNE


l’homme, des âmes mutilées, passives et, pour ainsi dire, mortes. Institué pour préserver les personnes, l’État les a toutes anéanties. — Même effet à l’endroit des propriétés, s’il défraye les autres corps. Car, pour les défrayer, il n’a d’autre argent que celui des contribuables ; en conséquence, par la main de ses percepteurs, il leur prend cet argent dans leur poche. Bon gré mal gré, tous indistinctement, ils payent une taxe supplémentaire pour un service supplémentaire, même quand ce service ne leur profite pas ou leur répugne. Si je suis catholique dans un État protestant ou protestant dans un État catholique, je paye pour une religion qui me semble fausse et pour une Église qui me semble malfaisante. Si je suis sceptique et libre penseur, indifférent ou hostile aux religions positives, aujourd’hui, en France, je paye pour alimenter quatre cultes qui me semblent inutiles ou nuisibles ; si je suis provincial ou paysan, je paye pour entretenir l’Opéra, où je n’irai jamais, Sèvres et les Gobelins, dont je ne verrai jamais une tapisserie ou un vase. — En temps de calme, l’extorsion se déguise ; mais, en temps de troubles, elle s’étale à nu. Sous le gouvernement révolutionnaire, des bandes de percepteurs à piques s’abattaient sur les villages et y faisaient des razzias comme en pays conquis[1] : saisi à la gorge et maintenu avec accompagnement de bourrades, le cultivateur voyait enlever les grains de son grenier, les bestiaux de son étable ; « tout cela prenait lestement le chemin de la ville », et autour de Paris, sur un rayon de quarante

  1. La Révolution, tome VIII, 103.