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FORMATION ET CARACTÈRES DU NOUVEL ÉTAT


qués à deux besognes distinctes, plus ils deviennent parfaits chacun dans son genre, plus leurs domaines se circonscrivent et s’opposent : à mesure que chacun deux devient plus capable de remplir son emploi, il devient plus incapable de remplir l’emploi de l’autre ; à la fin, ils ne peuvent plus se suppléer ; et cela est vrai quel que soit l’instrument mécanique, physiologique ou social. — Au plus bas degré de l’industrie humaine, le sauvage n’a qu’un outil : avec son caillou tranchant ou pointu, il tue, il brise, il fend, il perce, il scie, il dépèce ; le même instrument suffit, tellement quellement, aux services les plus divers. Ensuite viennent la lance, la hache, le marteau, le poinçon, la scie, le couteau, chacun d’eux plus adapté à un service distinct et moins efficace hors de cet office : on scie mal avec un couteau, et l’on coupe mal avec une scie. Plus tard apparaissent les engins très perfectionnés et tout à fait spéciaux, la machine à coudre et la machine à écrire : impossible de coudre avec la machine à écrire, ou d’écrire avec la machine à coudre. — Pareillement, au plus bas de l’échelle organique, quand l’animal n’est qu’une gelée homogène, informe et coulante, toutes ses parties sont également propres à toutes les fonctions : indifféremment et par toutes les cellules de son corps, l’amibe peut marcher, saisir, avaler, digérer, respirer, faire circuler ses liquides, expulser ses déchets et reproduire son espèce. Un peu plus haut, dans le polype d’eau douce, le sac intérieur qui digère et la peau extérieure qui sert d’enveloppe peuvent encore, à la rigueur, échanger leurs fonctions : si