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LE RÉGIME MODERNE


« un homme d’un caractère assez vil pour se complaire dans une pareille singerie ? Comment avez-vous pu imaginer qu’un homme de quelque talent et d’un peu d’honneur voulût se résigner au rôle de cochon à l’engrais de quelques millions ? » — D’autant plus que, pour sortir de ce rôle, la porte lui est ouverte, « Si j’étais grand électeur, je dirais, en nommant le consul de la guerre et le consul de la paix : « Si vous faites un ministre, si vous signez un acte sans que je l’approuve, je vous destitue. » De cette façon, le grand électeur devient un monarque actif et absolu. — « Mais, direz-vous, le sénat absorbera le grand électeur. » — « Ce remède est pire que le mal ; personne, dans ce projet, n’a de garanties », partant, chacun tachera de s’en procurer, le grand électeur contre le sénat, les consuls contre le grand électeur, le sénat contre le grand électeur allié aux consuls, chacun inquiet, alarmé, menacé, menaçant, usurpant pour se défendre : voilà des rouages qui jouent à faux, une machine qui se déconcerte, ne fonctionne plus et finit par se rompre. — Là-dessus, et comme d’ailleurs Bonaparte était déjà le maître[1], on réduisait tous les pouvoirs exécutifs à un seul, et ce pouvoir entier, on le remettait dans sa main. À la vérité, « pour ménager l’opinion républicaine[2] »,

  1. Extrait des Mémoires de Boulay de la Meurthe, 50 (Paroles de Bonaparte à Rœderer, à propos de Siéyès qui faisait des difficultés et voulait se retirer) : « Si Siéyès s’en va à la campagne, rédigez-moi vite un plan de Constitution ; je convoquerai les assemblées primaires dans huit jours, et je le leur ferai approuver, après avoir renvoyé les commissions (constituantes). »
  2. Correspondance de Napoléon Ier, XXX, 345, 346 (Mémoires) :