Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 9, 1904.djvu/165

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
159
FORMATION ET CARACTÈRES DU NOUVEL ÉTAT


tive ; tous, fonctionnaires, ministres, consuls et le grand électeur lui-même, révocables à la volonté d’un sénat qui, du jour au lendemain, peut les absorber, c’est-à-dire se les adjoindre en qualité de sénateurs, avec 100 000 francs de traitement et un habit brodé[1]. Évidemment, Siéyès n’avait tenu compte ni du service à faire, ni des hommes qui en seraient chargés, et Bonaparte, qui faisait le service en ce moment même, qui connaissait les hommes, qui se connaissait, posait tout de suite le doigt sur les points faibles de ce mécanisme si compliqué, si mal articulé, si fragile. Deux consuls[2], « l’un ayant sous ses ordres les ministres de la justice, de l’intérieur, de la police, des finances, du Trésor ; l’autre, ceux de la marine, de la guerre, des relations extérieures ! » Mais entre eux le conflit est certain : les voyez-vous en face l’un de l’autre, chacun sous des influences et des suggestions contraires : autour du premier, rien que « des juges, des administrateurs, des financiers, des hommes en robe longue » ; autour de l’autre, rien que « des épaulettes et des hommes d’épée » ? Certainement, « l’un voudra de l’argent et des recrues pour ses armées, l’autre n’en voudra pas donner ». — Et ce n’est pas votre grand électeur qui les mettra d’accord. « S’il s’en tient strictement aux fonctions que vous lui assignez, il sera l’ombre, l’ombre décharnée d’un roi fainéant. Connaissez-vous

  1. Théorie constitutionnelle de Siéyès. (Extrait des mémoires inédits de Boulay de la Meurthe). Paris, 1866, chez Renouard.
  2. Correspondance de Napoléon Ier, XXX, 345. (Mémoires.) — Mémorial de Sainte-Hélène.