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LE RÉGIME MODERNE


fils à travers les hasards de la guerre et de la défaite, au plus fort de l’invasion française, parmi les courses à cheval dans la montagne, les surprises nocturnes et les coups de fusil[1] : « Les pertes, les privations, les fatigues, dit Napoléon, elle supportait tout, bravait tout ; c’était une tête d’homme sur un corps de femme. » — Ainsi formé et enfanté, il s’est senti, depuis le premier jusqu’au dernier jour, de sa race et de son pays.

« Tout y était meilleur, disait-il à Sainte-Hélène[2] ; il n’était pas jusqu’à l’odeur du sol même ; elle lui eût suffi pour le deviner les yeux fermés ; il ne l’avait retrouvée nulle part. Il s’y voyait dans ses premières années ; il s’y trouvait dans sa jeunesse, au milieu des précipices, franchissant les sommets élevés, les vallées profondes, les gorges étroites, recevant les honneurs et les plaisirs de l’hospitalité… », traité partout en compatriote, en frère, « sans que jamais un accident, une insulte lui eût appris que sa confiance était mal fondée. » À Bocognano[3], où sa mère, grosse de lui,

  1. La conquête française s’opère à main armée, du 30 juillet 1768 au 22 mai 1769 ; la famille Bonaparte fait sa soumission le 23 mai 1769, et Napoléon naît le 15 août suivant.
  2. Antommarchi, Mémoires, 4 octobre 1819. — Mémorial, 29 mai 1816.
  3. Miot de Melito, II, 33 : « Le jour de mon arrivée à Bocognano, une vengeance privée coûta la vie à deux hommes. Environ huit années auparavant, un habitant de ce canton avait tué un de ses voisins, père de deux enfants… Ceux-ci, arrivés à l’âge de seize à dix-sept ans, quittèrent le pays pour guetter le meurtrier, qui se tenait sur ses gardes et n’osait s’éloigner du village… L’ayant trouvé qui jouait aux cartes sous un arbre, ils tirent, le tuent, et en outre, par mégarde, un homme qui dormait à quelques pas de là. Les parents des deux côtés