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FORMATION ET CARACTÈRES DU NOUVEL ÉTAT


s’occupait de soi, non de la communauté ; l’esprit public avait fait place à l’insouciance, à l’égoïsme, aux besoins de sécurité, de jouissance et d’avancement. Détériorée par la Révolution, la matière humaine était moins que jamais propre à fournir des citoyens : on n’en pouvait tirer que des fonctionnaires. Avec de tels rouages combinés selon les formules de 1791 et de 1795, impossible de faire la besogne requise ; définitivement et pour longtemps, l’emploi des deux grands mécanismes libéraux était condamné. Tant que les rouages seraient aussi mauvais et la besogne aussi grosse, il fallait renoncer à l’élection des pouvoirs locaux et à la division du pouvoir central.

IV

Sur le premier point, on était d’accord ; si quelqu’un doutait encore, il n’avait qu’à ouvrir les yeux, à regarder les autorités locales, à les voir à l’instant de leur naissance et dans le cours de leur exercice. — Naturellement, pour remplir chaque place, les électeurs avaient choisi un homme de leur espèce et de leur acabit ; or leur disposition dominante et fixe était bien connue : ils ôtaient indifférents à la chose publique ; partant leur élu l’était aussi. Trop zélé pour l’État, ils ne l’auraient point nommé : l’État n’était pour eux qu’un moraliste importun et un créancier lointain ; entre eux et cet intrus, leur délégué devait opter, opter pour eux contre lui, ne pas se faire pédagogue en son nom et recors à son profit. Quand le pouvoir naît sur place, et que ceux