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NAPOLÉON BONAPARTE


tère et la volonté, il tient bien plus que de son père[1], est une âme primitive que la civilisation n’a point entamée, simple et tout d’une pièce, impropre aux souplesses, aux agréments, aux élégances de la vie mondaine, sans souci du bien-être, sans culture littéraire, parcimonieuse comme une paysanne, mais énergique comme un chef de parti, forte de cœur et de corps, habituée aux dangers, exercée aux résolutions extrêmes, bref une « Cornélie » rustique, ayant conçu et porté son

  1. Son père, Charles Bonaparte, faible et même frivole, « trop ami du plaisir pour s’occuper de ses enfants » et bien conduire ses affaires, assez lettré, médiocre chef de maison, mourut à trente-neuf ans d’un squirre à l’estomac, et semble n’avoir transmis que cette dernière particularité à son fils Napoléon. — Au contraire, sa mère, sérieuse, commandante, vrai chef de famille, était, dit Napoléon, « sévère dans sa tendresse ; elle punissait, récompensait indistinctement : le bien, le mal, elle nous comptait tout. » — Devenue Madame Mère, « elle était trop parcimonieuse ; c’en était ridicule. C’était excès de prévoyance de sa part ; elle avait connu le besoin, et ces terribles moments ne sortirent pas de sa pensée… Paoli avait essayé près d’elle la persuasion avant d’employer la force… Madame répondit en héroïne et comme eût fait Cornélie… 12 ou 15 000 paysans fondirent des montagnes sur Ajaccio, notre maison fut pillée et brûlée, nos vignes perdues, nos troupeaux détruits… Du reste, cette femme, à laquelle on eût si difficilement arraché un écu, eût tout donné pour préparer mon retour de l’île d’Elbe, et, après Waterloo, m’a offert tout ce qu’elle possédait pour rétablir mes affaires. » (Mémorial, 29 mai 1816, et Mémoires d’Antommarchi, 18 novembre 1819. — Sur les idées et façons de Madame Mère, lire sa Conversation dans Stanislas de Girardin, Journal et Mémoires, t. IV.) — Duchesse d’Abrantès, Mémoires, II, 318, 369. « Avare au delà de toute bienséance, excepté dans quelques occasions solennelles… Aucune connaissance usuelle des habitudes du monde… Fort ignorante, non seulement de notre littérature, mais de la sienne. » — Stendhal, Vie de Napoléon. « C’est par ce caractère parfaitement italien de Mme Lætitia qu’il faut expliquer celui de son fils. »