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NAPOLÉON BONAPARTE


en état de subsister sans lui ; au contraire, il compromet les acquisitions durables par les annexions exagérées, et, dès le premier jour, il est visible que l’Empire finira avec l’Empereur. En 1805, le 5 pour 100 étant à 80 francs, son ministre des finances, Gaudin, lui fait observer que ce taux est raisonnable[1]. « Il ne faut pas se plaindre, puisque ces fonds sont en viager sur la tête de Votre Majesté. — Que voulez-vous dire ? — Je veux dire que l’empire s’est successivement agrandi au point qu’il devient ingouvernable après vous. — Si mon successeur est un imbécile, tant pis pour lui. — Oui, mais aussi tant pis pour la France. » — Deux ans plus tard, en manière de résumé politique, M. de Metternich[2] porte ce jugement d’ensemble : « Il est remarquable que Napoléon, tourmentant, modifiant continuellement les relations de l’Europe entière, n’ait pas encore fait un seul pas qui tende à assurer l’existence de ses successeurs. » En 1809, le même diplomate ajoute[3] : « Sa mort sera le signal d’un bouleversement nouveau et affreux ; tant d’éléments divisés tendront à se rapprocher. Des souverains détrônés seront rappelés par d’anciens sujets ; des princes nouveaux auront de nouvelles couronnes à défendre. Une véritable guerre civile s’établira pour un demi-siècle dans le vaste empire du continent, le jour où le bras de fer qui en tenait les rênes

  1. Souvenirs, par Gaudin, duc de Gaëte (IIIe vol. des Mémoires, 67).
  2. M. de Metternich, II, 120 (Lettre à Stadion, 26 juillet 1807).
  3. Ib., II, 291 (Lettre du 11 avril 1809).