Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 9, 1904.djvu/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
129
NAPOLÉON BONAPARTE


bavaroises, saxonnes, hollandaises, il a tué tant d’hommes en qualité d’ennemis, il en a tant enrôlés hors de chez lui et fait tuer sous ses drapeaux en qualité d’auxiliaires, que les nations lui sont encore plus hostiles que les souverains. Décidément, avec un caractère comme le sien, on ne peut pas vivre ; son génie est trop grand, trop malfaisant, d’autant plus malfaisant qu’il est plus grand. Tant qu’il régnera, on aura la guerre ; on aurait beau l’amoindrir, le resserrer chez lui, le refouler dans les frontières de l’ancienne France : aucune barrière ne le contiendra, aucun traité ne le liera ; la paix, avec lui, ne sera jamais qu’une trêve ; il n’en usera que pour se réparer, et, sitôt réparé, il recommencera[1] ; par essence, il est insociable. Là-dessus l’opinion de l’Europe est faite, définitive, inébranlable. — Combien cette conviction est unanime et profonde, un seul petit détail suffira pour le montrer. Le 7 mars, à Vienne, la nouvelle arrive qu’il s’est échappé de l’île d’Elbe, sans que l’on sache encore où il va débarquer. Avant huit heures du matin, M. de Metternich[2] apporte la nouvelle à l’empereur d’Autriche, qui lui dit : « Allez sans retard trouver l’empereur de Russie et le roi de Prusse, et dites-leur que je suis prêt à donner à mon armée l’ordre de reprendre le chemin de la

  1. Correspondance (Lettre au roi Joseph, 18 février 1814) : « Si j’avais signé le traité qui réduisait la France à ses anciennes limites, j’aurais couru aux armes deux ans après. » — Marmont, V, 133 (1813) : « Napoléon, dans les derniers temps de son règne, a toujours mieux aimé tout perdre que rien céder. »
  2. M. de Metternich, II, 205.


  le régime moderne, i.
T. IX. — 9