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NAPOLÉON BONAPARTE


ment contre l’Angleterre, la Prusse et l’Autriche, mais contre la Russie, contre toute puissance capable de maintenir son indépendance : car, si elle reste indépendante, elle peut devenir hostile, et, par précaution. Napoléon écrase en elle un ennemi probable.

D’autant plus que, dans cette voie, une fois engagé, il ne peut plus s’arrêter ; en même temps que son caractère, la situation qu’il s’est faite le pousse en avant, et son passé le précipite dans son avenir[1]. — Au moment où se rompt la paix d’Amiens, il est déjà si fort et si envahissant que ses voisins, pour leur sûreté, sont obligés de faire alliance avec l’Angleterre : cela le conduit à briser les vieilles monarchies encore intactes, à conquérir Naples, à mutiler l’Autriche une première fois, à démembrer et dépecer la Prusse, à mutiler l’Autriche une seconde fois, à fabriquer des royaumes pour ses frères à Naples, en Hollande, en Westphalie. — À la même date, il a fermé aux Anglais tous les ports de son empire : cela le conduit à leur fermer tous les ports du continent, à instituer contre eux une croisade européenne, à ne pas souffrir des souverains neutres comme le pape, des subalternes tièdes comme son frère Louis, des collaborateurs douteux ou insuffisants comme les Bragances de Portugal et les Bourbons d’Espagne, partant à s’emparer du Portugal et de l’Espagne, des États

  1. Correspondance de Napoléon Ier (Lettre au roi de Wurtemberg, 2 avril 1811) : « La guerre aura lieu malgré lui (l’empereur Alexandre), malgré moi, malgré les intérêts de la France et ceux de la Russie. J’ai déjà vu cela si souvent, que c’est mon expérience du passé qui me dévoile cet avenir. »