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LE RÉGIME MODERNE


redresse un écolier. Avec un sourire de pitié, il lui explique ses fautes, sa faiblesse, son incapacité, et lui montre d’avance sa défaite certaine, son humiliation prochaine. Recevant à Wilna l’envoyé de l’empereur Alexandre, il lui dit[1] : « Cette guerre, la Russie ne la veut pas, aucune puissance de l’Europe ne l’approuve, l’Angleterre elle-même ne la veut pas, car elle prévoit des malheurs pour la Russie, et peut-être même le comble du malheur… Je sais, autant que vous, combien de troupes vous avez, et peut-être mieux que vous. Votre infanterie, en tout, fait 120 000 hommes, et votre cavalerie entre 60 000 et 70 000 ; j’en ai trois fois autant… L’empereur Alexandre est très mal conseillé ; comment n’a-t-il pas honte de rapprocher de sa personne des gens vils, un Armfeld, homme intrigant, dépravé, scélérat et perdu de débauche, qui n’est connu que par ses crimes et qui est l’ennemi de la Russie ; un Stein, chassé de sa patrie comme un vaurien, un malveillant, dont la tête est proscrite, mise à prix ; un Benningsen, qui a, dit-on, quelques talents militaires que je ne lui connais pas, mais qui a trempé ses mains dans le sang[2] ?… Qu’il s’entoure de Russes, et je ne dirai rien… Est-ce que vous n’avez pas assez de gentilshommes russes qui, certainement, lui seront plus attachés que ces mercenaires ? Est-ce qu’il croit qu’ils sont amoureux de sa per-

  1. La Guerre patriotique (1812-1815), d’après les lettres des contemporains, par Doubravine (en russe). Le rapport de l’envoyé russe, M. de Balachof, est en français.
  2. Allusion au meurtre de Paul Ier.