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LE RÉGIME MODERNE


Un office difficile a-t-il été rempli, il ne remercie pas, il ne loue pas, ou à peine : M. de Champagny, ministre des affaires étrangères, n’a été loué qu’une fois, pour avoir conclu en une nuit, avec des avantages inespérés, le traité de Vienne[1] ; cette fois l’Empereur a pensé tout haut, par surprise : « Ordinairement, il ne donne son approbation que par son silence. » — Quand M. de Rémusat, préfet du palais, lui a composé, avec économie, précision, éclat et réussite, « quelqu’une de ces fêtes magnifiques où tous les arts sont appelés pour contribuer à ses plaisirs », Mme de Rémusat[2] ne demande jamais à son mari si l’Empereur est content, mais s’il a plus ou moins grondé. « Son grand principe général, auquel il donne toute espèce d’application dans les grandes choses comme dans les petites, c’est qu’on n’a de zèle que lorsqu’on est inquiet. » — Quelle contrainte insupportable il exerce, de quel poids accablant son arbitraire pèse sur les dévouements les mieux éprouvés et sur les caractères les plus assouplis, avec quel excès il foule et froisse toutes les volontés, jusqu’à quel point il comprime et il étouffe la respiration de la créature humaine, il le sait aussi bien que personne. On lui a entendu dire : « L’homme heureux est « celui qui se cache de moi au fond de quelque province. » Et, un autre jour[3], ayant demandé à M. de Ségur ce qu’on dirait après sa mort, comme

  1. M. de Champagny, Souvenirs, 117.
  2. Mme de Rémusat, I, 125.
  3. Ségur, III, 456.