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NAPOLÉON BONAPARTE


I

Démesuré en tout, mais encore plus étrange, non seulement il est hors ligne, mais il est hors cadre ; par son tempérament, ses instincts, ses facultés, son imagination, ses passions, sa morale, il semble fondu dans un moule à part, composé d’un autre métal que ses concitoyens et ses contemporains. Manifestement, ce n’est ni un Français, ni un homme du XVIIIe siècle ; il appartient à une autre race et à un autre âge[1] ; du premier coup d’œil, on démêlait en lui l’étranger, l’italien[2] et quelque

    même et devançant la justice des âges, il avait voulu montrer à la postérité sa personne et son système. » — Le savant qui a le plus assidûment étudié cette correspondance presque intacte dans les diverses Archives de France estime qu’elle comprend plus de 70 000 pièces, dont 23 000 ont été publiées dans le recueil en question ; 20 000 autres ont été élaguées comme redites, et 30 000 environ par convenance ou politique. Par exemple, on n’a guère publié que la moitié des lettres de Napoléon à Bigot de Préameneu sur les affaires ecclésiastiques ; beaucoup de lettres omises, toutes importantes et caractéristiques, sont dans l’Église romaine et le Premier Empire, par le comte d’Haussonville. — Le savant dont je viens de parler estime à 2000 le nombre des lettres importantes qui restent encore inédites.

  1. Mémorial de Sainte-Hélène, par le comte de Las-Cases (29 mai 1816). — « En Corse, dans une excursion à cheval, Paoli lui expliquait les positions, les lieux de résistance ou de triomphe de la liberté. Sur les observations de son jeune compagnon et sur le caractère qu’il lui avait laissé entrevoir, Paoli lui dit : « Ô Napoléon, tu n’as rien de moderne, tu appartiens tout à fait à Plutarque. » — Antommarchi, Mémoires, 25 octobre 1819. Même récit de Napoléon, avec une petite variante : « Ô Napoléon ! me dit Paoli, tu n’es pas de ce siècle ; tes sentiments sont ceux d’un homme de Plutarque. Courage, tu prendras ton essor ! »
  2. Comte de Ségur, Histoire et Mémoires, I, 150 (Récit de Ponté-