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NAPOLÉON BONAPARTE


gneusement chez les gens toutes les passions honteuses…, il aime à apercevoir les côtés faibles pour s’en emparer », la soif de l’argent chez Savary, l’aplatissement courtisanesque chez Maret, la vanité et la sensualité chez Cambacérès, le cynisme insouciant et « la molle immoralité » chez Talleyrand, « la sécheresse de caractère » chez Duroc, la tare jacobine chez Fouché, « la niaiserie » chez Berthier ; il la fait remarquer, il s’en égaye et il en profite : « Là où il ne voit pas de vices, il encourage les faiblesses, et, faute de mieux, il excite la peur, afin de se trouver toujours et constamment le plus fort…, Il redoute les liens d’affection, il s’efforce d’isoler chacun… Il ne vend ses faveurs qu’en éveillant l’inquiétude ; il pense que la vraie manière de s’attacher les individus est de les compromettre, et souvent même de les flétrir dans l’opinion… » — « Si Caulaincourt est compromis, disait-il après le meurtre du duc d’Enghien, il n’y a pas grand mal, il ne m’en servira que mieux. »

Une fois la créature saisie, qu’elle ne songe pas à s’échapper ou à lui dérober quelque chose d’elle-même : tout en elle lui appartient. Remplir son office avec zèle et succès, obéir ponctuellement dans un cercle tracé d’avance, c’est trop peu ; par delà le fonctionnaire, il revendique l’homme : « Tout cela peut être, dit-il aux éloges qu’on lui en fait[1] ; mais il n’est pas à moi

  1. Mme de Rémusat, II, 142, 167, 245 (Paroles de Napoléon) : « Si j’ordonnais à Savary de se défaire de sa femme et de ses enfants, je suis sûr qu’il ne balancerait pas. » — Marmont, II, 194 : « Nous étions à Vienne en 1809 ; Davout disait, parlant du