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LA RÉVOLUTION


officiers municipaux ou commandants de la force armée, les laissent faire[1]. — Jugez par là de ce qu’ils ont fait, lorsque, du temps de Robespierre, administrateurs et vendeurs des biens nationaux, ils étaient les maîtres sans conteste. En ce bon temps, dans le Var, les Bouches-du-Rhône et le Vaucluse, « une société de soi-disant patriotes » préparait de longue main ses acquisitions. Elle avait des « estimateurs à gages » pour déprécier les biens à vendre, et des prête-noms pour dissimuler les véritables acheteurs ; « on était exclu des

  1. Archives nationales, F7, [3273 (Lettre de Mérard, ancien administrateur et juge en 1790 et 1791, en l’an III, en l’an IV et l’an V, au ministre, Apt, 15 pluviôse an VIII, avec des références personnelles et pièces à l’appui) : « Je ne puis tenir à la vue de tant d’horreurs. Les juges de paix et le directeur du jury s’excusaient sur ce qu’il ne se présentait ni dénonciateurs ni témoins. Qui aurait osé se montrer contre des hommes qui s’arrogeaient le titre de patriotes par excellence, qu’on avait vus figurer dans toutes les crises révolutionnaires, qui avaient des amis dans toutes les communes, et des protecteurs dans les autorités supérieures ? La faveur dont ils jouissaient était telle, qu’on avait exempté la commune de Gordes de la levée des conscrits et des réquisitionnaires. On ne pouvait trop, disait-on, ménager des gens disposés à seconder les vues civiques de l’administration… Il est certain qu’un état aussi désespérant n’a pour cause que la faiblesse, l’impéritie, l’ignorance, l’apathie et l’immoralité des fonctionnaires publics qui, depuis le 18 fructidor an V, infestent, à quelques exceptions près, les autorités constituées. Tout ce qu’il y a de plus impur et de plus inepte est en place et glace d’effroi les bons citoyens. » — Ib., Lettre de Montauban, directeur de l’enregistrement depuis 1793, au ministre de l’intérieur, son compatriote, Avignon, 7 pluviôse an VII : « Les honnêtes gens ont été constamment froissés et comprimés par les ordonnateurs et auteurs de la Glacière,… par les suppôts du tribunal sanguinaire d’Orange, et par les incendiaires de Bédouin. » Il demande le secret sur sa lettre, qui, « si elle était connue des Glaciéristes ou Orangistes, coûterait la vie à son auteur ».