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LA RÉVOLUTION


vagues. Notez aussi que les gardes du butin sont justement les sans-culottes qui l’ont conquis, qu’ils sont pauvres, que cette profusion d’objets utiles ou précieux leur fait mieux sentir le dénuement de leur intérieur, que leur femme a bien envie de monter son ménage. D’ailleurs, et dès les premiers jours de la Révolution, ne leur a-t-on point promis que « 40000 hôtels, palais et châteaux, les deux tiers des biens de la France, seraient le prix de la valeur[1] » ? En ce moment même, est-ce que le représentant en mission n’autorise pas leurs convoitises ? Ne voit-on pas Albitte et Collot d’Herbois à Lyon, Fouché à Nevers, Javogues à Montbrison, proclamer que les biens des contre-révolutionnaires et le superflu des riches sont « le patrimoine des sans-culottes[2] » ? Ne lit-on pas dans les proclamations de Monestier[3] que les campagnards, « avant de partir, peuvent mesurer, arpenter les immenses propriétés de leurs seigneurs, choisir, pour ainsi dire, celle qui, au retour, accroîtra la propriété de leur chaumière,… accrocher une parcelle du champ et de la garenne de leur ci-devant comte ou marquis » ? Pourquoi pas une parcelle de son mobilier, tel lit ou telle armoire ? — Rien d’étonnant, après cela, si la fragile bande de papier, qui protège les meubles séquestrés et les marchandises confisquées, saute, à chaque instant, sous des

  1. Paroles de Camille Desmoulins, dans la France libre (août 1789).
  2. Comte de Martel, Fouché, 362. — Ib., 132, 162, 179, 427, 443.
  3. Marcelin Boudet, 175 (Adresse de Monestier aux Sociétés populaires du Puy-de-Dôme, 23 février 1793).