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LES GOUVERNANTS


« Viot, épouse de l’accusateur public, les citoyennes Fernex et Ragot, épouses des deux juges », viennent elles-mêmes au greffe faire leur choix dans la dépouille des accusés, et prendre pour leur garde-robe les boucles d’argent, le linge fin et les dentelles[1]. — Mais ce que les accusés détenus ou fugitifs peuvent avoir emporté avec eux est peu de chose en comparaison de ce qu’ils laissent à domicile, c’est-à-dire sous le séquestre. Tous les bâtiments ecclésiastiques et seigneuriaux, châteaux et hôtels de France y sont, avec leur mobilier, et aussi la plupart des belles maisons bourgeoises, quantité d’autres logis moindres, mais bien meublés et abondamment garnis par l’épargne provinciale ; outre cela, presque tous les entrepôts et magasins des grands industriels et des gros commerçants : cela fait un butin colossal et tel qu’on n’en a jamais vu, tous les objets agréables à posséder amoncelés en tas, et ces tas disséminés par centaines de mille sur les vingt-six mille lieues carrées du territoire. Point de propriétaire, sauf la nation, personnage indéterminé, qu’on ne voit pas ; entre le butin sans maître et ses conquérants il n’y a d’autre barrière que les scellés, c’est-à-dire un méchant morceau de papier, maintenu par deux cachets mal appliqués et

  1. Berryat-Saint-Prix, 447. Le juge Ragot était un ci-devant menuisier de Lyon ; l’accusateur public Viot était un ci-devant déserteur du régiment de Penthièvre. — « D’autres accusés furent dépouillés ; on ne leur laissait que des vêtements en mauvais état… L’huissier Nappier fut plus tard (messidor an III) condamné aux fers, pour s’être approprié une partie des effets, bijoux et assignats des détenus. »


  la révolution, vi.
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