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LES GOUVERNANTS


liers[1], associé d’une grande maison de commerce, était en arrestation chez lui, sous la garde de quatre sans-culottes, lorsque, le 8 brumaire an II, quelqu’un le prend à part et l’avertit « qu’il est en danger, s’il ne va pas au-devant des besoins indispensables que l’on a pour les dépenses secrètes de la Révolution. » Un haut personnage, Lemoal, membre du comité révolutionnaire et administrateur du district, a parlé de ces besoins, et jugé que M. Davilliers devait contribuer à ces dépenses pour une somme de 150 000 livres. À ce moment, on frappe à la porte : Lemoal entre, toutes les personnes présentes s’esquivent, et Lemoal prononce ces seuls mots : « Consens-tu ? — Mais je ne puis disposer des biens de mes associés. — Alors tu iras en prison. » — Sous cette menace, le pauvre homme souscrit et remet à Lemoal un billet de 150 000 livres, à vingt jours, payable au porteur, et, au bout de deux semaines, à force de réclamations, obtient la liberté d’aller et de venir. Cependant Lemoal a réfléchi et juge prudent de couvrir son extorsion privée par une exaction publique ; il dit donc à M. Davilliers : « Il est essentiel que maintenant vous donniez, d’une manière ostensible, 150 000 autres livres pour les besoins de la République ; je vous accompagnerai chez les représentants à qui vous devez les offrir. » De cette façon, la poule étant plumée officiellement, personne ne supposera qu’elle a d’abord été plumée secrètement, et d’ailleurs les cu-

  1. Archives nationales, AF, II, 30, n° 105 (Interrogatoire de Jean Davilliers et autres également dénoncés).