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LES GOUVERNANTS


Par la même raison, ayant l’occasion et la tentation de voler, ils volent. — D’abord, pendant six mois, et jusqu’au décret qui leur assigne une solde, les comités

    air imposant. Il l’embrasse hardiment, en recommençant son geste sur la poitrine, lui prenant la main et lui disant : « Bonjour, sœur. » — « Allons, dis-je, nous allons déjeuner ensemble, et, si vous voulez, vous dînerez avec moi. — J’y consens, mais à une condition, c’est que tu me tutoieras. — Je le ferai, si je puis, mais ce n’est pas mon usage. » — « Après lui avoir garni la tête et le cœur d’une bouteille de vin, nous nous en débarrassons en l’envoyant, avec mon fils et Bimbenet, faire l’inspection au chartrier. Le plaisant est qu’il ne savait lire que dans le moulé… » Par suite, Bimbenet et le procureur de la commune, qui lisent tout haut les titres, omettent les féodalités. Velu ne s’en aperçoit pas, et dit toujours : « C’est bien, passe, passe. » — Au bout d’une heure, excédé, il revient : « C’est fini, tout est bien ; mais fais donc moi voir ton château qui est si beau. » — Il avait surtout entendu parler d’une salle de fantoccini dans les combles ; il y monte, ouvre quelques livrets de pièces, et, voyant sur la liste des personnages les noms « le Roi, le Prince, » etc., il me dit : « Il faut que tu effaces cela, il faut jouer des pièces républicaines. » — On descend par un escalier dérobé. — « Au milieu, il rencontre une femme de chambre de ma femme, fort jolie ; il l’arrête, et, regardant mon fils : Il faut, en bon républicain, que tu couches avec elle et que tu l’épouses. » — Je le regarde, et je lui dis : « Monsieur Velu, écoutez-moi bien : nous avons ici des mœurs, et pareil propos ne s’y est jamais tenu. Respectez la jeunesse et ma maison. » — Un peu déconcerté, il s’humanise, et « montre des égards à Mme de Cheverny ». — « Tu as de l’encre et des plumes sur ton bureau, me dit-il ; apporte-les-moi. — Quoi, pour faire mon inventaire ? — Non, non ; mais ils me demandent un procès-verbal ; tu m’aideras ; il sera mieux pour toi, puisque tu le feras à ta fantaisie. » — Ce n’était pas de sa part si maladroit pour cacher son impéritie. — On passe, pour dîner, dans la salle à manger, « Mes gens nous servaient ; je ne m’étais point plié au système d’une table générale, qui ne leur aurait pas plus convenu qu’à moi. La curiosité les amena tous à venir nous voir dîner. — « Frère, me dit Velu, est-ce que tous ceux-là ne mangent pas avec toi ? » — (Il ne voyait que quatre couverts, les