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LA RÉVOLUTION


— Selon ses propres paroles, le régime qu’il apporte est « l’alliance de la philosophie et du sabre ». Par philosophie, ce qu’on entend alors, c’est l’application des principes abstraits à la politique, la construction logique de l’État d’après quelques notions générales et simples, un plan social uniforme et rectiligne ; or, comme on l’a

    têtes de l’hydre, concentré le pouvoir en lui seul, et empêché les assemblées primaires de nous envoyer un tiers de nouveaux scélérats à la place de ceux qui allaient déguerpir… Depuis que j’ai cessé d’écrire, tout est tellement changé, qu’il semble que les événements révolutionnaires se sont passés il y a plus de vingt ans ; les traces s’en effacent tous les jours… Le peuple n’est plus tourmenté au sujet de la décade, qui n’est plus observée que par les autorités… On peut voyager sans passeport dans l’intérieur… La subordination est rétablie dans les troupes ; tous les conscrits rejoignent… Le gouvernement ne connaît aucun parti ; un royaliste est placé avec un républicain forcené, et ils sont, pour ainsi dire, neutralisés l’un par l’autre. Le Premier Consul, plus roi que Louis XIV, a appelé dans ses conseils tous les gens capables, sans s’embarrasser de ce qu’ils sont ou ont été. » — Anne Plumptre, A narrative of three years residence in France, from 1802 to 1805, I, 326, 329 : « La classe qu’on nomme le peuple est très certainement, prise en masse, favorablement disposée pour Bonaparte… Toutes les fois qu’une personne de cette classe racontait quelque lamentable trait de la Révolution, elle concluait toujours en disant : « Mais à présent nous sommes tranquilles, grâce à Dieu et à Bonaparte. » — Avec sa perspicacité ordinaire, Mallet du Pan (Mercure britannique, nos du 25 novembre et du 10 décembre 1799) a tout de suite compris le caractère et la portée de cette dernière révolution. « La domination possible des Jacobins glaçait tous les âges et la plupart des conditions… N’est-ce donc rien que d’être préservés, ne fût-ce que pour une année, des ravages d’une faction sous l’empire de laquelle personne ne dormit tranquille, et de la trouver chassée de toutes les places d’autorité, au moment où chacun tremblait de la voir déborder une seconde fois avec ses torches, ses assassins, ses taxateurs et ses lois agrairiennes, sur la surface de la France ?… Cette révolution, d’un ordre tout nouveau, nous paraît aussi fondamentale que celle de 1789. »