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LA FIN DU GOUVERNEMENT RÉVOLUTIONNAIRE


des cabales, des révolutions, ils le peuvent encore, mais se mettre d’accord et se subordonner de cœur à l’ascendant justifié, à l’autorité reconnue de quelques-uns ou de quelqu’un d’entre eux, ils ne le peuvent plus. — Après dix ans d’attentats réciproques, parmi les trois mille législateurs qui ont siégé dans les assemblées souveraines, il n’en est pas un qui puisse compter sur la déférence et sur la fidélité de cent Français. Le corps social est dissous ; pour ses millions d’atomes désagrégés, il ne reste plus un seul noyau de cohésion spontanée et de coordination stable. Impossible à la France civile de se reconstruire elle-même ; cela lui est aussi impossible que de bâtir une Notre-Dame de Paris ou un Saint-Pierre de Rome avec la boue des rues et la poussière des chemins.

Il en est autrement dans la France militaire. — Là, les hommes se sont éprouvés les uns les autres, et dévoués les uns aux autres, les subordonnés aux chefs, les chefs aux subordonnés, et tous ensemble à une grande œuvre. Les sentiments forts et sains qui lient les volontés humaines en un faisceau, sympathie mutuelle, confiance, estime, admiration, surabondent, et la franche camaraderie encore subsistante de l’inférieur et du supérieur[1], la familiarité libre et gaie, si chère aux Français, resser-

  1. Sur cet article, lire, dans l’Histoire de ma vie, par G. Sand, tomes II, III et IV, la correspondance de son père, engagé volontaire en 1798 et lieutenant à Marengo. — Cf, maréchal Marmont, Mémoires, I, 186, 282, 296, 304 : « À cette époque, notre ambition était tout à fait secondaire ; nos devoirs ou nos plaisirs seuls nous occupaient. L’union la plus franche, la plus cordiale régnait entre nous tous. »