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LA RÉVOLUTION


encore parce qu’elle n’est pas née viable : dès son origine, il y avait en elle un principe de dissolution, un poison intime et mortel, non seulement pour autrui, mais pour elle-même. — Ce qui maintient une société politique, c’est le respect de ses membres les uns pour les autres, en particulier le respect des gouvernés pour les gouvernants et des gouvernants pour les gouvernés, par suite, des habitudes de confiance mutuelle ; chez les gouvernés, la certitude fondée que les gouvernants n’attaqueront pas les droits privés ; chez les gouvernants, la certitude fondée que les gouvernés n’assailliront pas les pouvoirs publics ; chez les uns et chez les autres, la reconnaissance intérieure que ces droits, plus ou moins larges ou restreints, sont inviolables, que ces pouvoirs, plus ou moins amples ou limités, sont légitimes ; enfin, la persuasion qu’en cas de conflit le procès sera conduit selon les formes admises par la loi ou par l’usage, que, pendant les débats, le plus fort n’abusera pas de sa force, et que, les débats clos, le gagnant n’écrasera pas tout à fait le perdant. À cette condition seulement, il peut y avoir concorde entre les gouvernants et les gouvernés, concours de tous à l’œuvre commune, paix intérieure, partant stabilité, sécurité, bien-être et force. Sans cette disposition intime et persistante des esprits et des cœurs, le lien manque entre les hommes. Elle constitue le sentiment social par excellence ; on peut dire qu’elle est l’âme dont l’État est le corps.

Or, dans l’État jacobin, cette âme a péri ; elle a péri, non par un accident imprévu, mais par un effet forcé du