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LA FIN DU GOUVERNEMENT RÉVOLUTIONNAIRE


le joue à pile ou face ? Par leur victoire définitive, les Jacobins ont tari le patriotisme, c’est-à-dire la source intime et profonde qui fournit à l’État la substance, la vie et la force. — Vainement, ils multiplient les décrets rigoureux et les prescriptions impérieuses ; chaque coup de force s’émousse à demi contre la résistance universelle et sourde de l’inertie volontaire et du dégoût insurmontable. Ils n’obtiennent pas de leurs sujets cette portion d’obéissance machinale, ce degré de collaboration passive sans lequel la loi reste une lettre morte[1]. Leur République, si jeune, « est atteinte de ce mal sans nom qui n’attaque d’ordinaire que les vieux gouvernements, sorte de consomption sénile, qu’on ne saurait définir autrement que la difficulté d’être ; personne ne fait effort pour la renverser ; mais elle semble avoir perdu la force de se tenir debout[2] ».

  1. Lord Malmesbury’s Diaries (5 novembre 1796) : « Chez Rondonneau, qui a publié toutes les lois et décrets… Très bavard, mais intelligent… Dix mille lois publiées depuis 1789, mais soixante-dix seulement en vigueur. » — Ludovic Sciout, IV, 770 (Rapports de l’an VII). Dans le Puy-de-Dôme, « sur 286 communes, il en est 200 dont les agents ont commis des faux de tout genre sur les registres de l’état civil, et dans les expéditions de ses actes, pour soustraire des individus au service militaire. Ici, ce sont des jeunes gens de vingt à vingt-cinq ans mariés à des femmes de soixante-douze ou quatre-vingts ans, ou même mortes depuis longtemps. Là, on justifie de l’extrait de décès d’un homme qui est vivant et se porte bien. » — « On présente de faux contrats pour échapper au service ; de jeunes soldats sont mariés à des femmes de quatre-vingts ans ; une femme, grâce à une série de faux, se trouve mariée à dix ou douze conscrits. » (Lettre du chef de bataillon de la gendarmerie à Roanne, 9 ventôse an VII.)
  2. Paroles de M. de Tocqueville. — Le Duc de Broglie, par M. Guizot, 16 (paroles du duc de Broglie) : « Ceux qui n’ont


  la révolution, vi.
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