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LA RÉVOLUTION


chose. Personne, disent les rapports[1], ne se soucie plus de l’intérêt général ; personne ne veut être garde national ou maire. « L’esprit public est dans un sommeil léthargique qui pourrait faire craindre son anéantissement. Nos revers ou nos succès ne font naître ni inquiétude ni joie[2]. Il semble qu’en lisant l’histoire des batailles, on lise l’histoire d’un autre peuple. Les changements de l’intérieur n’excitent pas plus d’émotion ; on se questionne par curiosité ; on se répond sans intérêt ; on apprend avec indifférence. » — « Les plaisirs de Paris[3] ne sont plus dérangés un moment par les crises qui se succèdent, ni par celles qu’on redoute. Jamais les spectacles ni les lieux publics n’ont été plus fréquentés. On se dit à Tivoli qu’on va être pis que jamais ; on appelle la patrie la patraque, et l’on danse. » — Cela se comprend : comment s’intéresser à la chose publique, quand il n’y en a plus, quand le patrimoine commun de tous est devenu la propriété privée d’une bande, quand, à l’intérieur, cette bande le dévore ou le gaspille, et, à l’extérieur,

  1. Schmidt, 298, 352, 377, 451, etc. (ventôse, frimaire et fructidor an VII).
  2. Ib., III (Rapports de prairial an VII, département de la Seine).
  3. La Fayette, Mémoires, II, 164 (Lettre du 14 juillet 1799. — Tocqueville, Œuvres complètes, V, 270 (Témoignage d’un contemporain). — Sauzay, X, 470, 471 (Discours de Briot et d’Eschassériaux) : « Je ne sais quelle torpeur effrayante s’est emparée des esprits ; on s’accoutume à ne rien croire, à ne rien sentir, à ne rien faire… La grande nation, qui avait tout vaincu, tout créé autour d’elle, semble ne plus exister que dans les armées et dans quelques âmes généreuses. »