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LA RÉVOLUTION


pas même Français ; et, dans cette compagnie de choix, le meneur en chef, la tête dirigeante, est, selon l’usage, un homme de loi véreux et déchu, l’ex-notaire Pigeot, exclu de son corps pour banqueroute. C’est lui, probablement, qui a imaginé la spéculation qu’on va lire. — Dès le mois de septembre 1793, ayant la bride sur le cou pour arrêter dans le quartier, et même hors du quartier, qui bon lui semble, le comité a fait une rafle, « trois cents pères de famille » en quatre mois, et d’abord il a rempli une vieille caserne qu’il occupe rue de Sèvres. Dans cette baraque étroite et malsaine, plus de cent vingt détenus sont entassés ensemble, parfois dix dans la même chambre, deux dans le même lit, et, pour frais de garde, ils payent 300 francs par jour. Comme ces frais vérifiés sont de 62 francs, il y a, de ce chef et sans compter les autres extorsions ou concussions qui ne sont pas officielles, 238 francs de bénéfice quotidien pour les honnêtes entrepreneurs. Aussi vivent-ils grandement et se font-ils servir « les dîners les plus splendides » dans leur chambre d’assemblée : « les écots de 10 ou 12 livres ne sont rien » pour eux. — Mais, dans cet opulent faubourg Saint-Germain, tant d’hommes et de femmes riches et nobles sont un bétail qu’il faut loger convenablement, afin de le mieux traire. En conséquence, vers la fin de mars 1794, pour élargir son exploitation et compléter sa bergerie, le comité loue, à l’encoignure du boulevard, une grande maison avec cour et jardin, et y dépose la haute société du quartier dans des logements de deux pièces, à 12 francs