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LA RÉVOLUTION


leurs violences au dedans, il leur faut des périls au dehors ; sans le prétexte du salut public, ils ne peuvent prolonger leur usurpation, leur dictature, leur arbitraire, leurs inquisitions, leurs proscriptions, leurs exactions. Supposez la paix faite : est-ce que le gouvernement, haï et méprisé comme il l’est, pourra se maintenir contre la clameur publique et faire nommer ses suppôts aux élections prochaines ? Est-ce que tant de généraux rentrés consentiront à vivre à demi-solde, oisifs et soumis ? Est-ce que Hoche, si ardent et si absolu, est-ce que Bonaparte, qui médite déjà son coup d’État[1], voudront se faire les gardes du corps de quatre petits avocats ou littérateurs sans titres et d’un Barras, général de rue, qui n’a jamais vu une bataille rangée ? D’ailleurs, sur le squelette de la France desséchée par cinq ans de spoliations, comment nourrir, même provisoirement, la fourmilière armée qui, depuis deux ans, ne subsiste qu’en dévorant les nations voisines ? Comment ensuite licencier quatre cent mille officiers et soldats à jeun ? Et comment, dans le Trésor vide, puiser le milliard que, par un décret solennel, à titre de récompense nationale, on vient de leur promettre encore une fois[2] ? Seule la guerre prolongée ou recom-

    paix que, en sus de toutes les raisons notoires, je suis convaincu que la paix paralysera ce pays ; tous les moyens violents qu’ils ont employés pour la guerre se retourneront contre eux, comme une humeur rentrée, et renverseront entièrement leur Constitution, qui est faible et sans base. Cette conséquence de la paix est bien plus importante que les conditions les plus favorables que nous pourrions insérer dans le traité. »

  1. Mathieu Dumas, III, 256. — Miot de Melito, I, 163, 195 (Conversations avec Bonaparte, juin et novembre 1797).
  2. Mallet du Pan, Mercure britannique, n° du 10 novembre