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LES GOUVERNANTS


des amateurs patriotes viennent tour à tour déclamer et chanter, où tout le Conseil général chante, où le président Lubin, « orné de son écharpe », entonne lui-même, par cinq ou six fois, la Marseillaise, le Ça ira, des chansons à plusieurs couplets sur des airs de l’Opéra-Comique, et toujours « hors de mesure, avec une voix, des agréments et des manières de beau Léandre. Je crois bien que, dans la dernière séance, il chanta ainsi en solo à peu près trois quarts d’heure, en différentes fois, l’assemblée répétant le dernier vers du couplet ». — « Mais c’est drôle, disait à côté de Morellet une femme du peuple ; c’est drôle de passer comme ça tout le temps de leur assemblée à chanter. Est-ce qu’ils sont là pour ça ? » Non pas seulement pour cela : après la parade de foire, les harangueurs ordinaires, et surtout le coiffeur de dames, « viennent, d’une voix forcenée, avec des gestes furibonds », lancer des motions meurtrières. Voilà les beaux parleurs[1] et les hommes de décor. — Les autres, qui ne parlent pas et savent à peine écrire, agissent et empoignent. Tel est un certain Chalandon, membre de la Commune[2] prési-

  1. Sur cet ascendant des bavards de la même espèce, voir Dauban (Paris en 1794, 118, 143). Détails sur un tailleur-fripier, tout-puissant dans la section des Lombards. Si l’on en croit les citoyennes de l’assemblée, « il disait partout qu’il ferait renvoyer de la Société populaire tous ceux qui ne lui plaisaient pas » (13 ventôse an II).
  2. Arnault, Souvenirs d’un sexagénaire, II, 111. — Sur un autre membre de la Commune, Bergot, ex-employé à la Halle aux Cuirs et administrateur de police, on trouvera des détails dans les Mémoires des prisons, I, 232, 239, 246, 289, 290. Nul n’a été plus grossier et plus dur. Aux réclamations des détenus sur la nourri-