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LA RÉVOLUTION


Commune, qui veut se renseigner, lui choisit trois examinateurs. Naturellement, il fait auprès d’eux toutes les démarches préalables. D’abord, il écrit « un billet bien humble, bien civique », au président du Conseil général, Lubin fils, ancien rapin qui, ayant quitté les arts pour la politique, vit chez son père, boucher, rue Saint-Honoré. Morellet traverse l’étal, marche dans les flaques de la tuerie, est admis après quelque attente, trouve son juge au lit et plaide sa cause. Puis il visite Bernard, ex-prêtre, « fait comme un brûleur de maisons, d’une figure ignoble », et salue respectueusement la dame du logis, « une petite femme assez jeune, mais bien laide et bien malpropre ». Enfin il porte ses dix ou douze volumes au plus important des trois commissaires, Vialard, « ex-coiffeur de dames » ; celui-ci est presque un collègue : « car, dit-il, j’ai toujours aimé les mécaniques, et j’ai présenté à l’Académie des Sciences un toupet de mon invention ». Mais le pétitionnaire ne s’est point montré dans la rue au 10 août, ni au 2 septembre, ni au 31 mai ; comment, après ces marques de tiédeur, lui accorder un certificat de civisme ? Morellet ne se rebute point, attend le tout-puissant coiffeur à l’Hôtel de Ville et l’aborde plusieurs fois au passage. L’autre, « avec plus de morgue et de distraction que le ministre de la guerre le plus inabordable n’en montra jamais au plus petit lieutenant d’infanterie », écoutant à peine et marchant toujours, va s’asseoir, et Morellet, dix ou douze fois, bien malgré lui, assiste aux séances. — Étranges séances où des députations, des volontaires,