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LA FIN DU GOUVERNEMENT RÉVOLUTIONNAIRE


bourg mal gardé, d’en finir sur place avec Barras et Reubell : à la guerre, on tue pour n’être pas tué, et, quand l’ennemi vous couche en joue, vous avez le droit de tirer sans attendre « Seulement, dit le commandant, promettez-moi de dire à la tribune que vous avez commandé cette attaque, et donnez-m’en votre parole d’honneur. » Mathieu Dumas refuse, justement parce qu’il est homme d’honneur. — « Vous fûtes un imbécile, lui dira Napoléon à ce propos, vous n’entendez rien aux révolutions. » — Effectivement, l’honneur, la loyauté, l’horreur du sang, le respect de la loi, tel est le point faible du parti.

Or les sentiments contraires sont le point fort du parti contraire. Du côté des triumvirs, nul ne connaît les gênes de la conscience, ni Barras[1], un condottiere qui s’entend aux coups de force et qui est à vendre aux plus offrant, ni Reubell, sorte de taureau qui s’affole et voit rouge, ni Merlin de Douai, le légiste atroce, l’inquisiteur laïque, le bourreau en chambre. — Tout de suite, selon l’usage jacobin, ils ont dégainé et brandi

  1. Mallet du Pan, II, 327 : « Barras est le seul qui aille de franc jeu, et qui, au risque des événements, veuille faire triompher le jacobinisme per fas et nefas. » — Ib., 339 : « Les triumvirs balancèrent jusqu’au vendredi ; Barras, le plus furieux des trois, et maître d’Augereau, entraîna ses deux collègues. » — Ib., 351 : « Barras et Reubell, à force d’ébranler l’imagination de ce pauvre philosophailleur de La Révellière, parvinrent à le convertir. » — Thibaudeau, II, 272 : « Ce fut Barras qui eut seul les honneurs de la dictature pendant cette nuit… La Révellière s’était enfermé chez lui comme dans un sanctuaire impénétrable. Reubell, dans ce moment, la tête un peu altérée, était gardé à vue dans ses appartements. »