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LA RÉVOLUTION


qu’il remanie à grands frais pour y chasser à courre, tel autre accapareur des plus belles terres de Seine-et-Oise, celui-ci propriétaire improvisé de quatre châteaux, celui-là qui s’est fait une pelote de quinze ou dix-huit millions[1], leurs façons débraillées ou autoritaires, leurs mœurs de thésauriseurs ou de gaspilleurs, leur étalage et leur effronterie, leurs bombances, leurs courtisans, leurs courtisanes. Comment renoncer à cela ? — D’autant plus qu’ils ne tiennent qu’à cela. Des principes abstraits, de la souveraineté du peuple, de la volonté générale, du salut public, nul souci dans ces consciences usées ; le mince et fragile vernis de grandes phrases, sous lequel jadis ils se sont dissimulé à eux-mêmes l’égoïsme et la perversité de leurs convoitises intimes, s’écaille et tombe à terre. De leur propre aveu, ce n’est pas de la République qu’ils se préoccupent, mais, avant tout, d’eux-mêmes, et d’eux seuls ; tant pis pour elle, si son intérêt est contraire à leur intérêt ; selon un mot prochain de Siéyès, il ne s’agit plus de sauver la Révolution, mais de sauver les révolutionnaires. — Ainsi désabusés, exempts de scrupules, sachant qu’ils jouent leur va-tout, résolus, comme leurs pareils du 10 août, du 2 septembre, du 31 mai, comme le Comité de Salut public, à gagner la partie n’importe par quels moyens, ils vont, comme leurs

  1. E. et J. de Goncourt, la Société française pendant le Directoire, 298, 386. — Cf. le Thé, le Grondeur, le Censeur des journaux, à Paris, et les innombrables brochures. — En province, l’Anti-terroriste à Toulouse, le Neuf Thermidor à Besançon, les Annales troyennes à Troyes, etc.