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LES GOUVERNÉS


toire, la multitude immense des faméliques à la ville et dans la campagne, la queue des femmes pendant trois

    abandonnés, dont le nombre s’est prodigieusement accru : en 1790, leur chiffre n’excédait pas 23 000 ; en l’an X, il dépasse 63 000 (Peuchet, 260) : « C’est un vrai déluge », disent les rapports ; dans l’Aisne, au lieu de 400, il y en a 1097 ; on en compte 1500 dans le Lot-et-Garonne (Statistiques des préfets de l’Aisne, du Gers, de Lot-et-Garonne), et ils ne naissent que pour mourir : dans l’Eure, au bout de quelques mois, c’est 6 sur 7 ; à Lyon, c’est 792 sur 820 (Statistiques des préfets de l’Eure et du Rhône). À Marseille, c’est 600 sur 618 ; à Toulon, 101 sur 104 ; en moyenne, c’est 19 sur 20. (Rocquain, État de la France au 18 Brumaire, 33, rapport de Français de Nantes.) À Troyes, sur 164 déposés en l’an IV, il en meurt 134 ; sur 147 déposés en l’an VII, il en meurt 136. (Albert Babeau, II, 452.) À Paris, en l’an IV, sur 3122 enfants déposés, 2907 périssent. (Moniteur, an V, n° 231.) — Les malades périssent de même. À Toulon, il n’y a que sept livres de viande par jour pour 80 malades : « J’ai vu, dit Français de Nantes, dans l’hospice civil, une femme à qui l’on venait de faire l’opération de la taille et à qui l’on donnait, pour tout restaurant, une douzaine de fèves dans une assiette de bois. » (Rocquain, ib., 3, et passim, notamment pour Bordeaux, Caen, Alençon, Saint-Lô, etc.) — Quant aux mendiants, ils sont innombrables ; en l’an IX, on estime qu’il y en a trois ou quatre mille par département, environ 300 000 en France : « Dans les quatre départements de la Bretagne, on peut dire avec vérité qu’un tiers de la population vit aux dépens des deux autres, soit en les volant, soit par des aumônes forcées. » (Rocquain, Rapport de Barbé-Marbois, 93.)

    3° En l’an IX, le gouvernement demanda aux Conseils généraux si la population avait augmenté ou diminué depuis 1789. (Analyse des procès-verbaux des Conseils généraux de l’an IX, in-4o.) Sur 58 qui répondent, 37 disent que chez eux la population a diminué, 12 qu’elle s’est accrue, 9 qu’elle est restée stationnaire ; sur ces 21 derniers, 13 attribuent le maintien ou l’accroissement de la population, du moins en très grande partie, à la multiplication des mariages précoces contractés pour éviter la conscription, et au grand nombre des enfants naturels. — Par conséquent, ce qui a soutenu le chiffre de la population, ce n’est pas la conservation des vies, mais la substitution de vies nouvelles aux vies détruites. — Néanmoins, Bordeaux a perdu un dixième de sa population, Reims un huitième, Pau un septième, Chambéry un quart, Rennes un tiers ; dans les départements qui ont subi la guerre civile, Argen-


  la révolution, vi.
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